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l3o DÛ CONTRAT SOCIAL

A l'instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d'association produit un corps moral et collectif, composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte sou unité, son moi commun, sa vie et sa volonté ( 1 ). Cette personne publique, qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cité (a), et prend maintenant celui de république ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est pas- sif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. A l'égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et

(*) Rousseau considère donc un peuple comme un être moral, auquel il attribue tous les caractères de la person- nalité. — On verra dans la suite quelles dilïicultés entraîne ce réalisme métaphysique.

{a) Le vrai sens de ce mot s'est presque entièrement effacé chez les modernes : la plupart prennent une ville pour une cité, et un bourgeois pour un citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font la ville, mais que les citoyens font la cité. Cette même erreur coûta cher autrefois aux Carthaginois. Je n'ai pas lu que le titre de cives ait jamais été donné aux sujets d'aucun prince, pas même anciennement aux Macé- doniens, ni de nos jours aux Anglais, quoique plus près de la liberté que tous les autres. Les seuls Français prennent tous familièrement ce nom de citoyens, parce qu'ils n'en ont aucune véritable idée, comme on peut le voir dans leurs dictionnaires; sans quoi ils tomberaient, en l'usurpant, dans le crime de lèse-majesté : ce nom, chez eux, exprime une vertu, et non pas un droit. Quand Bodin a voulu parler de nos citoyens et bourgeois, il a fait une lourde bévue en pre- nant les uns pour les autres. M. d'Alembert ne s'y est pas trompé, et a bien distingué, dans son article Genève, les quatre ordres d'hommes (même cinq, en y comptant les sim- ples étrangers) qui sont dans notre ville, et dont deux seule- ment composent la république. Nul autre auteur français, que je sache, n'a compris le vrai sens du mot citoyen. (Note de Rousseau).

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