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libres ; leur liberté leur appartient, nul n’a droit d’en disposer qu’eux. Avant qu’ils soient en âge de raison, le père peut, en leur nom, stipuler des conditions pour leur conservation, pour leur bien-être, mais non les donner irrévocablement et sans condition ; car un tel don est contraire aux fins de la nature[1], et passe les droits de la paternité. Il faudrait donc, pour qu’un gouvernement arbitraire[2] fût légitime, qu’à chaque génération le peuple fût le maître de l’admettre ou de le rejeter ; mais alors ce gouvernement ne serait plus arbitraire.

Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme[3], aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme ; et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine

  1. Rousseau peut ici parler des « fins de la nature » parce qu’il s’agit d’une autorité naturelle. L’autorité paternelle (voir plus haut, chap. II) n’est légitime qu’autant qu’elle s’emploie aux fins de la nature, c’est-à-dire à assurer la vie de l’enfant et à le mettre en état de devenir à son tour un homme libre. Tout acte d’éducation qui détruirait la liberté future de l’homme serait donc immoral et mauvais, contraire non seulement à la justice, mais aussi à la nature. — On ne peut, croyons-nous, poser sur un fondement plus sûr la distinction des droits du père et des droits de l’enfant.
  2. C’est-à-dire un gouvernement entre les mains duquel les citoyens se seraient totalement dépouillés de leurs droits, sans garantie ni compensation.
  3. En effet, la liberté est la conséquence et la condition de la vie elle-même, comme on l’a vu, chap. II. Renoncer à sa liberté, c’est abandonner le pouvoir d’employer les moyens les plus propres à se conserver.