Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/126

Cette page n’a pas encore été corrigée

moins pour sa subsistance ; mais un peuple, pourquoi se vend-il ? Bien loin qu’un roi fournisse à ses sujets leur subsistance, il ne tire la sienne que d’eux ; et, selon Rabelais, un roi ne vit pas de peu. Les sujets donnent donc leur personne, à condition qu’on prendra aussi leur bien ? Je ne vois pas ce qu’il leur reste à conserver.

On dira que le despote assure à ses sujets la tranquillité civile. Soit ; mais qu’y gagnent-ils, si les guerres que son ambition leur attire, si son insatiable avidité, si les vexations de son ministère les désolent plus que ne feraient leurs dissensions ? Qu’y gagnent-ils si cette tranquillité même est une de leurs misères ? On vit tranquille aussi dans les cachots : en est-ce assez pour s’y trouver bien ? Les Grecs enfermés dans l’antre du Cyclope y vivaient tranquilles, en attendant que leur tour vînt d’être dévorés (*).

Dire qu’un homme se donne gratuitement, c’est dire une chose absurde et inconcevable ; un tel acte est illégitime et nul, par cela seul que celui qui le fait n’est pas dans son bon sens. Dire la même chose de tout un peuple, c’est supposer un peuple de fous ; la folie ne fait pas droit.

Quand chacun pourrait s’aliéner lui-même, il ne peut aliéner ses enfants : ils naissent hommes et

(’) Rousseau n’invoque plus ici une impossibilité logique, mais une simple invraisemblance. Des hommes peuvent en effet s’abandonner volontairement à un maître dans l’espoir que leur sujétion leur vaudra le repos. — Mauvais calcul, répond Rousseau. Car rien ne leur garantit ce repos même. Il sera bien plus sage d’en faire l’objet d’une convention.