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expérience. Non-seulement celui qui n’aura jamais entendu ni Basse ni Harmonie, ne trouvera, de lui-même, ni cette Harmonie ni cette Basse ; mais elles lui déplairont si on les lui fait entendre, & il aimera beaucoup mieux le simple Unisson.

Quand on songe que, de tous les peuples de la terre, qui tous ont une Musique & un Chant, les Européens sont les seuls qui aient une Harmonie, des Accords, sec qui trouvent ce mélange agréable ; quand on songe que le monde a duré tant de siecles, sans que, de toutes les Nations qui ont cultivé les Beaux-Arts, aucune ait connu cette Harmonie ; qu’aucun animal, qu’ aucun oiseau, qu’aucun être dans la Nature ne produit d’autre Accord que l’ Unisson, ni d’autre Musique que la Mélodie ; que les langues orientales, si sonores, si musicales ; que les oreilles Grecques, si délicates, si sensibles, exercées avec tant d’Art, n’ ont jamais guidé ces peuples voluptueux & passionnés vers notre Harmonie ; que, sans elle, leur Musique avoit des effets si prodigieux ; qu’avec elle la nôtre en a de si foibles ; qu’ enfin il étoit réservé à des Peuples du Nord, dont les organes durs & grossiers sont plus touches de l’éclat & du bruit des Voix, que de la douceur des accens & de la Mélodie des inflexions, de faire cette grande découverte & de la donner pour principe à toutes les regles de l’Art ; quand, dis-je, on fait attention à tout cela, il est bien difficile de ne pas soupçonner que toute notre Harmonie n’est qu’une invention gothique & barbare, dont nous ne nous fussions jamais avisés, si nous eussions été plus sensibles aux véritables beautés de l’Art, & à la Musique vraiment naturelle.