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Cette langue inconnue, & d’une antiquité presque effrayante, devoit pourtant être alors bien formée, à en juger par la perfection des arts qu’annoncent la beauté des caractères & les monumens admirables où se trouvent ces inscriptions. Je ne sais pourquoi l’on parle si peu de ces étonnantes ruines : quand j’en lis la description dans Chardin, je me crois transporté dans un autre monde. Il me semble que tout cela donne furieusement à penser.

L’art d’écrire ne tient point à celui de parler. Il tient à des besoins d’une autre nature, qui naissent plus tot ou plus tard


puisque les lettres de notre alphabet, qui sont au nombre de vingt-trois, ne sont pourtant composées que de deux lignes, la droite et la circulaire, c’est-à-dire qu’avec un C et un I on fait toutes les lettres qui composent nos mots. »

(+) « Ce caractère paraît fort beau, et n’a rien de confus ni de barbare. L’on dirait que les lettres ont été dorées ; car il y en a plusieurs, et surtout des majuscules, où il paraît encore de l’or : et c’est assurément quelque chose d’admirable et d’inconcevable que l’air n’ait pu manger cette dorure durant tant de siècles. Du reste ce n’est pas merveille qu’aucun de tous les savans du monde n’ait jamais rien compris à cette écriture, puisqu’elle n’approche en aucune manière d’aucune écriture qui soit venue à notre connaissance ; au lieu que toutes les écritures connues aujourd’hui, excepté le chinois, ont beaucoup d’affinités entre elles, et paraissent venir de la même source. Ce qu’il y a en ceci de plus merveilleux est que les Guèbres, qui sont les restes des anciens Perses, et qui en conservent et perpétuent la religion, non-seulement ne connaissent pas mieux ces caractères que nous, mais leurs caractères n’y ressemblent pas plus que les nôtres. D’où il s’ensuit, ou que c’est un caractère de cabale, ce qui n’est pas vraisemblable, puisque ce caractère est le commun et naturel de l’édifice en tous endroits, et qu’il n’y en a pas d’autre du même ciseau ; ou qu’il est d’une si grande antiquité que nous n’oserions presque le dire. » En effet, Chardin ferait présumer, sur ce passage, que, du temps de Cyrus et des Mages, ce caractère était déjà oublié, et tout aussi peu connu qu’aujourd’hui.