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n’étoit ſecouru, qu’Ixion avoit beſoin d’enrayer, & Syſiphe de reprendre haleine ; mais comme relâcher un vétéran ç’eût été laiſſer à Claude l’eſpoir d’obtenir un jour la même grace, on aima mieux imaginer quelque nouveau ſupplice qui, l’aſſujettiſſant à un vain travail, irritât inceſſamment ſa cupidité par une eſpérance illuſoire. Eaque ordonna donc qu’il jouât aux dés avec un cornet percé, & d’abord on le vit ſe tourmenter inutilement à courir après ſes dés.

Car à peine agitant le mobile cornet
Aux dés prêts à partir il demande ſonnet,
Que malgré tous ſes ſoins entre ses doitgs avides
Du cornet défoncé, panier des Danaïdes,
Il ſent couler les dés ; ils tombent, & ſouvent
Sur la table, entraîné par ſes geſtes rapides,
Son bras avec effort jette un cornet de vent.
[1]Ainſi pour terrasser ſon adroit adverſaire
Sur l’arêne, un Athlete enflammé de colere,
Du ceſte qu’il éleve eſpere le frapper ;
L’autre gauchit, esquive, a le tems d’échapper,
Et le coup frappant l’air avec toute ſa force,
Au bras qui l’a porté donne une rude entorſe.

Là-dessus Caligula paroiſſant tout-à-coup, ſe mit à le réclamer comme ſon eſclave. Il produiſoit des témoins qui l’avoient vu le charger des ſoufflets & d’étrivieres. Auſſi-tôt il lui fut adjugé par Eaque. Et Caligula le donna à Ménandre ſon affranchi, pour en faire un de ſes gens.

  1. J’ai pris la liberté de ſubſtituer cette comparaiſon à celle de Syſiphe, employée par Séneque & trop rebattue depuis cet Auteur.