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qu’ils accuſoient de tenir leur Colonie aſſiégée de s’être déclarée pour Vindex, & d’avoir ci-devant fourni des troupes pour le ſervice de Galba. En leur montrant enſuite la grandeur du butin ils animoient la colere par la convoitiſe, & non contens de les exciter en ſecret : “Soyez, leur diſoient-ils hautement, nos vengeurs & les vôtres, en détruiſant la ſource de toutes les guerres des Gaules. Là, tout vous eſt étranger ou ennemi ; ici vous voyez une Colonie romaine & une portion de l’armée toujours fidelle à partager avec vous les bons & les mauvais ſuccès : la fortune peut nous être contraire ; ne nous abandonnez pas à des ennemis irrités.” Par de ſemblables diſcours ils échaufferent tellement l’eſprit des soldats, que les Officiers & les Généraux déſeſpéroient de les contenir. Les Viennois, qui n’ignoroient pas le péril, vinrent au-devant de l’armée avec des voiles & des bandelettes, & ſe proſternant devant les ſoldats, baiſant leurs pas, embraſſant leurs genoux & leurs armes ils calmerent leur fureur. Alors Valens leur ayant fait diſtribuer trois cents ſeſterces par tête, on eut égard à l’ancienneté & à la dignité de la Colonie, & ce qu’il dit pour le ſalut & la conservation des habitans, fut écouté favorablement. On déſarma pourtant la Province, & les particuliers furent obligés de fournir à diſcrétion des vivres au ſoldat : mais on ne douta point qu’ils n’euſſent à grand prix acheté le Général. Enrichi tout-à-coup après avoir long-tems ſordidement vécu, il cachoit mal le changement de ſa fortune, & ſe livrant ſans meſure à tous ſes deſirs irrités par une longue abſtinence, il devint un Vieillard prodigue d’un jeune-homme indigent qu’il avoit été.