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des femmes ſuivre leurs maris en exil, des parens intrépides, des gendres inébranlables, des esclaves mêmes à l’épreuve des tourmens. On vit de grands hommes, fermes dans toutes les adverſités, porter & quitter la vie avec une confiance digne de nos peres. A ces multitudes d’événemens humains ſe joignirent les prodiges du Ciel & de la Terre, les ſignes tirés de la foudre, les préſages de toute espece, obſcurs ou manifeſtes, ſiniſtres ou favorables. Jamais les plus tristes calamités du peuple Romain, jamais les plus juſtes jugemens du Ciel ne montrerent avec tant d’évidence que ſi les Dieux ſongent à nous, c’eſt moins pour nous conſerver que pour nous punir.

Mais avant que d’entrer en matiere, pour développer les causes des événemens qui ſemblent ſouvent l’effet du hazard, il convient d’expoſer l’état de Rome, le génie des armées, les mœurs des provinces, & ce qu’il y avoit de ſain & de corrompu dans toutes les régions du monde.

Après les premiers tranſports excités par la mort de Néron, il s’étoit élevé des mouvemens divers non-ſeulement au Sénat, parmi le Peuple & les Bandes prétoriennes, mais entre tous les chefs & dans toutes les Légions. Le ſecret de l’Empire étoit enfin dévoilé, & l’on voyoit que le Prince pouvoit s’élire ailleurs que dans la Capitale. Mais le Sénat ivre de joie ſe preſſoit, ſous un nouveau Prince encore éloigné, d’abuser de la liberté qu’il venoit d’uſurper. Les principaux de l’ordre équeſtre n’étoient gueres moins contens. La plus ſaine partie du peuple qui tenoit aux grandes maiſons, les cliens, les affranchis des proſcrits