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tes charmes ont mieux à choisir. Mais mon devoir ne dépend ni de ta vertu ni de tes charmes, sa voix me parle & je le suivrai. Qu’un éternel oubli ne peut-il te cacher mes erreurs ! Que ne les puis-je oublier moi-même ! Mais non, je le sens, j’en ai pour la vie, & le trait s’enfonce par mes efforts pour l’arracher. C’est mon sort de brûler jusqu’à mon dernier soupir d’un feu que rien ne peut éteindre, & auquel chaque jour ôte un degré d’espérance & en ajoute un de déraison. Voilà ce qui ne dépend pas de moi ; mais voici, Sara, ce qui en dépend. Je vous donne ma foi d’homme qui ne la faussa jamais, que je ne vous reparlerai de mes jours de cette passion ridicule & malheureuse que j’ai pu peut-être empêcher de naître, mais que je ne puis plus étouffer. Quand je dis que je ne vous en parlerai pas, j’entends que rien en moi ne vous dira ce que je dois taire. J’impose à mes yeux le même silence qu’à ma bouche : mais de grace imposez aux vôtres de ne plus venir m’arracher ce triste secret. Je suis à l’épreuve de tout, hors de vos regards : vous savez trop combien il vous est aisé de me rendre parjure. Un triomphe si sûr pour vous & si flétrissant pour moi pourroit-il flatter votre belle ame ? Non, divine Sara, ne profane pas le temple où tu es adorée, & laisse au moins quelque vertu dans ce cœur à qui tu as tout ôté.

Je ne puis ni ne veux reprendre le malheureux secret qui m’est échappé ; il est trop tard, il faut qu’il vous reste, & il est si peu intéressant pour vous qu’il seroit bientôt oublié si l’aveu ne s’en renouvelloit sans cesse. Ah ! je serois trop à plaindre dans ma misere si jamais je ne pouvois me dire que vous la