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de m’enchaîner à ton char comme un soupirant à cheveux gris, comme un amant barbon qui veut faire l’agréable, &, dans son extravagant délire, s’imagine avoir des droits sur un jeune objet. Tu n’auras pas cette gloire, ô Sara, ne t’en flatte pas : tu ne me verras point à tes pieds vouloir t’amuser avec le jargon de la galanterie, ou t’attendrir avec des propos langoureux. Tu peux m’arracher des pleurs, mais ils sont moins d’amour que de rage. Ris, si tu veux, de ma foiblesse ; tu ne riras pas, au moins, de ma crédulité.

Je te parle avec emportement de ma passion, parce que l’humiliation est toujours cruelle, & que le dédain est dur à supporter : mais ma passion, toute folle qu’elle est, n’est point emportée ; elle est à la fois vive & douce comme toi. Privé de tout espoir, je suis mort au bonheur & ne vis que de ta vie. Tes plaisirs sont mes seuls plaisirs ; je ne puis avoir d’autres jouissances que les tiennes, ni former d’autres vœux que tes vœux. J’aimerois mon Rival même si tu l’aimois ; si tu ne l’aimois pas, je voudrois qu’il pût mériter ton amour ; qu’il eût mon cœur pour t’aimer plus dignement & te rendre plus heureuse. C’est le seul desir permis à quiconque ose aimer sans être aimable. Aime & sois aimée, ô Sara. Vis contente, & je mourrai content.