LETTRES
À SARA.
Tu lis dans mon cœur, jeune Sara ; tu m’as pénétré, je
le sais, je le sens. Cent fois le jour ton œil curieux vient épier
l’effet de tes charmes. À ton air satisfait, à tes cruelles bontés,
à tes méprisantes agaceries, je vois que tu jouis en secret de
ma misere ; tu t’applaudis avec un souris moqueur du désespoir
où tu plonges un malheureux, pour qui l’amour n’est plus qu’un
opprobre. Tu te trompes, Sara, je suis à plaindre, mais je ne
suis point à railler : je ne suis point digne de mépris, mais de
pitié, parce que je ne m’en impose ni sur ma figure ni sur mon
âge, qu’en aimant je me sens indigne de plaire, & que la
fatale illusion qui m’égare, m’empêche de te voir telle que tu
es, sans m’empêcher de me voir tel que je fuis. Tu peux m’abuser
sur tout, hormis sur moi-même : tu peux me persuader
tout au monde, excepté que tu puisses partager mes feux insensés.
C’est le pire de mes supplices de me voir comme tu
me vois ; tes trompeuses caresses ne sont pour moi qu’une humiliation
de plus, & j’aime avec la certitude affreuse de ne
pouvoir être aimé.
Sois donc contente. Hé bien, oui, je t’adore ; oui, je brûle pour toi de la plus cruelle des passions. Mais tente, si tu l’oses,