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des Chefs, que ce ne sont leurs préjugés & leurs courtes vues, qui font le malheur des Nations.

Je finirai par transcrire une espece de discours, qui a quelque rapport à mon sujet, & qui ne m’en écartera pas long-tems.

Un Parsis de Surate ayant épousé en secret une Musulmane fut découvert, arrêté, & ayant refusé d’embrasser le mahométisme, il fut condamné à mort. Avant d’aller au supplice, il parla ainsi à ses juges.

" Quoi ! vous voulez m’ôter la vie ! Eh, de quoi me punissez-vous ? J’ai transgressé ma loi plutôt que la vôtre : ma loi parle au cœur & n’est pas cruelle ; mon crime a été puni par le blâme de mes freres. Mais que vous ai-je fait pour mériter de mourir ? Je vous ai traités comme ma famille, & je me suis choisi une sœur parmi vous. Je l’ai laissée libre dans sa croyance, & elle a respecté la mienne pour son propre intérêt. Borné sans regret à elle seule, je l’ai honorée comme l’instrument du culte qu’exige l’Auteur de mon être, j’ai payé par elle le tribut que tout homme doit au genre humain : l’amour me l’a donnée & la vertu me la rendoit chére ; elle n’a point vécu dans la servitude, elle a possédé sans partage le cœur de son époux ; ma faute n’a pas moins fait son bonheur que le mien."

"Pour expier une faute si pardonnable vous m’avez voulu rendre fourbe & menteur ;vous m’avez voulu forcer à professer vos sentimens sans les aimer & sans y croire : comme si le transfuge de nos lois eût mérité de passer sous les vôtres, vous m’avez fait opter entre le parjure & la mort,