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Mais pourquoi ce désordre est-il inévitable ? Ah, pourquoi ! Dans tout autre tems on n’auroit pas besoin de le demander ; mais dans ce siecle où regnent si fiérement les préjuges & l’erreur sous le nom de philosophie, les hommes, abrutis par leur vain savoir, ont ferme leur esprit à la voix de la raison, & leur cœur à celle de la nature.

Dans tout etat, dans tout pays dans toute condition, les deux sexes ont entr’eux une liaison si sorte & si naturelle, que les mœurs de l’un décident toujours de celles de l’autre. Non que ces mœurs soient toujours les meures, mais elles ont toujours le même, degré de bonté, modifie dans chaque sexe par les penchans qui lui sont propres. Les Angloises sont douces & timides. Les Anglois sont durs & féroces. D’où vient cette apparente opposition ? De ce que le caractere de chaque sexe est ainsi renforce, & que c’est aussi le caractere national de porter tout à l’extrême.À cela près, tout est semblable. Les deux sexes aiment à vivre à part ; tous deux font cas des plaidés de la table ; tous deux se rassemblent pour boire après le repas, les hommes du vin, les femmes du thé ; tous deux se livrent au jeu sans fureur & s’en sont un métier plutôt qu’une passion ; tous deux ont un grand respect pour les choses honnêtes ; tous deux aiment la patrie & les loix ; tous deux honorent la soi conjugale, &, s’ils la violent, ils ne se font.point un honneur de la violer ; la paix domestique plaît à tous deux ; tous deux sont silencieux & taciturnes ; tous deux difficiles à émouvoir ; tous deux emportes dans leurs passions ; pour tous deux l’amour est terrible & tragique, il décide du sort de leurs jours, il ne s’agit pas de moins, dit.