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Le plus charmant objet de la nature, le plus capable d’émouvoir un cœur sensible & de le porter au bien, est, je l’avoue, une femme aimable & vertueuse ; mais cet objet céleste où se cache-t-il ? N’est-il pas bien cruel de le contempler avec tant de plaisir au Théâtre, pour en trouver de si différens dans la Société ? Cependant le tableau séducteur fait son effet. L’enchantement cause par ces prodiges de sagesse tourne au profit des femmes sans honneur. Qu’un jeune homme n’ait vu le monde que sur la Scene, le premier moyen qui s’offre à lui pour aller à la vertu est de chercher une maîtresse qui l’y conduise, espérant bien trouver une Constance ou une Cénie *

[*Ce n’est point par étourderie que je cite Cénie en cet endroit, quoique cette charmante Piece soit l’ouvrage d’une femme : car, cherchant la vérité de bonne-foi, je ne sais point déguiser ce qui fait contre mon sentiment ; & ce n’est pas a une femme, mais aux femmes que je refuse les talens des hommes. J’honore d’autant plus volontiers ceux de l’Auteur de Cénie en particulier, qu’ayant à me plaindre de ses discours, je lui rends un hommage pur & désintéresse, comme tous les éloges sortis de ma plume.] tout au moins. C’est ainsi que, sur la foi d’un modele imaginaire, sur un air modeste & touchant, sur une douceur contrefaite, nescius aurae fallacis, le jeune insensé court se perdre, en pensant devenir un Sage.

Ceci me fournit l’occasion de proposer une espece de problème. Les Anciens avoient en général un très-grand respect pour les femmes ; *

[* Ils lent donnoient plusieurs noms honorables que nous n’avons plus, ou qui sont bas & surannés parmi nous. On sait quel usage Virgile a fait de celui de Maîtres dans une occasion où les Meres Troyennes n’étoient gueres sages. Nous n’avons la place que le mot de Dames qui ne convient pas à toutes, qui même vieillit insensiblement, & qu’on a tout-à-fait proscrit du ton à la mode, J’observe que les Anciens tiroient volontiers leurs titres d’honneur des droits de la Nature, & que nous ne tirions les nôtres que des droits du rang.] mais ils marquoient ce respect