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d’y substituer aux véritables beautés éclipsées, de petits agrémens capables d’en imposer à la multitude. Ne sachant plus nourrir la force du Comique & des caracteres, on a renforcé l’intérêt de l’amour. On a fait la même chose dans la Tragédie pour suppléer aux situations prises dans des intérêts d’Etat qu’on ne connoît plus, & aux sentimens naturels & simples qui ne touchent plus personne. Les Auteurs concourent a l’envi pour l’utilité publique à donner une nouvelle énergie & un nouveau coloris a cette passion dangereuse ; &, depuis Moliere & Corneille, on ne voit plus réussir au Théâtre que des Romans, sous le nom de Pieces dramatiques.

L’amour est le regne des femmes. Ce sont elles qui nécessairement y donnent la loi : parce que, selon l’ordre de la Nature, la résistance leur appartient & que les hommes ne peuvent vaincre cette résistance qu’aux dépens de leur liberté. Un effet naturel de ces sortes de Pieces est donc d’étendre l’empire du Sexe, de rendre des femmes & de jeunes filles les précepteurs du Public, & de leur donner sur les Spectateurs le même pouvoir qu’elles ont sur leurs Amans. Pensez-vous, Monsieur, que cet ordre soit sans inconvénient, & qu’en augmentant avec tant de soin l’ascendant des femmes, les hommes en seront mieux gouvernes ?

Il peut y avoir dans le monde quelques femmes dignes d’être écoutées d’un honnête-homme ; mais est-ce d’elles, en général, qu’il doit prendre conseil, & n’y auroit- il aucun moyen d’honorer leur sexe, à moins d’avilir le notre ?