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il n’est pas tenu de rapporter toujours les mêmes preuves en raisonnant sur le même sentiment. Ses Ecrits s’expliquent alors les uns par les autres ; & les derniers, quand il a de la méthode, supposent toujours les premiers. Voilà ce que j’ai toujours tâché de faire, & ce que j’ai fait, sur-tout, dans l’occasion dont il s’agit.

Vous supposez, ainsi que ceux qui traitent de ces matières, que l’homme apporte avec lui sa raison toute formée, & qu’il nes’agit que de la mettre en œuvre. Or ce la n’est pas vrai ; car l’une des acquisitions de l’homme, & même des plus lentes, est la raison. L’homme apprend à voir des yeux de l’esprit ainsi que des yeux du corps ; mais le premier apprentissage est bien plus long que l’autre, parce que les rapports des objets intellectuels ne se mesurant pas comme l’étendue, ne se trouvent que par estimation, & que nos premiers besoins, nos besoins physiques, ne nous rendent pas l’examen de ces mêmes objets si intéressant. Il faut apprendre à voir deux objets à la fois, il faut apprendre à les comparer entre eux ; il faut apprendre à comparer les objets en grand nombre, à remonter par degrés aux causes, à les suivre dans leurs effets ; il faut avoir combiné des infinités de rapports pour acquérir des idées de convenance, de proportion, d’harmonie & d’ordre. L’homme qui privé du secours de ses semblables, & sans cesse occupé de pourvoir à ses besoins, est réduit en toute chose à la seule marche de ses propres idées, fait un progrès bien lent de ce côté-là : il vieillit & meurt avant d’être sorti de l’enfance de la raison. Pouvez-vous croire de bonne foi que d’un million d’hommes élevés de cette