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les emportemens de l’autre ; & le tort de Moliere n’est pas d’avoir fait du Misanthrope un homme colere & bilieux, mais de lui avoir donne des fureurs puériles sur des sujets qui ne devoient pas l’émouvoir. Le caractere du Misanthrope n’est pas a disposition du Poete ; il est détermine par la nature de sa passion dominante. Cette passion est une violente haine du vice, née d’un amour ardent pour la vertu, & aigrie par le spectacle continuel de la méchanceté des hommes. Il n’y donc qu’une ame grande & noble qui en soit à susceptible. L’horreur & le mépris qu’y nourrit cette même passion pour tous les vices qui l’ont irritée sert encore à les écarter du cœur qu’elle agite. De plus, cette contemplation continuelle des désordres de la Société, le détache de lui-même pour fixer toute son attention sur le genre-humain. Cette habitude éleve, aggrandit ses idées, détruit en lui des inclinations basses qui nourrissent & concentrent l’amour-propre ; & de ce concours naît une certaine force de courage, une fierté de caractere qui ne laisse prise au fond de son ame qu’y des sentimens dignes de l’occuper.

Ce n’est pas que l’homme ne soit toujours homme ; que la passion ne le rende souvent foible, injuste, déraisonnable ; il n’épie peut-être les motifs caches des actions des autres, avec un secret plaisir d’y voir la corruption de leurs cœurs, qu’un petit mal ne lui donne souvent une grande colere, & qu’en l’irritant à dessein, un méchant adroit ne put parvenir à le faire passer pour méchant lui-même ; mais il n’en est pas moins vrai que tous moyens ne sont pas bons à produire ces effets, & qu’ils doivent être assortis à son caractere