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haïs sur la Scene… Sont-ils aimés dans la Société, quand on les y connoît pour tels ? Est-il bien sûr que cette haine soit plutôt l’ouvrage de l’Auteur, que des forfaits qu’il leur fait commettre ? Est-il bien sûr que le simple récit de ces forfaits nous en donneroit moins d’horreur que toutes les couleurs dont il nous les peint ? Si tout son art consiste à nous montrer des malfaiteurs pour nous les rendre odieux, je ne vois point ce que cet art a de si admirable, & l’on ne prend là-dessus que trop d’autres leçons sans celle-là. Oserai-je ajouter un soupçon qui me vient ? Je doute que tout homme à qui l’on exposera d’avance les crimes de Phedre ou de Médée, ne les déteste plus encore au commencement qu’à la fin de la Piece ; & si ce doute est fondé, que faut-il penser de cet effet si vanté du Théatre ?

Je voudrois bien qu’on me montrât clairement & sans verbiage, par quels moyens il pourroit produire en nous des sentimens que nous n’aurions pas, & nous faire juger des êtres moraux autrement que nous n’en jugeons en nous-mêmes ? Que toutes ces vaines prétentions approfondies sont pueriles & dépourvues de sens ! Ah si la beauté de la vertu était l’ouvrage de l’art, il y a long-tems qu’il l’auroit défigurée ! Quant à moi, dût-on me traiter de méchant encore pour oser soutenir que l’homme est né bon, je le pense & crois l’avoir prouvé ; la source de l’intérêt qui nous attache à qui est honnête & nous inspire de l’aversion pour le mal, est en nous & non dans les Pieces. Il n’y a point d'art pour produire cet intérêt, mais seulement pour s’en