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Le Barbare avoit raison. L’on croit s’assembler au Spectacle, & c’est-là que chacun s’isole ; c’est-là qu’on va oublier ses amis, ses voisins, ses proches, pour s’intéresser à des fables, pour pleurer les malheurs des morts, ou rire aux dépens des vivans. Mais j’aurois dû sentir que ce langage n’est plus de saison dans notre siecle. Tâchons d’en prendre un qui soit mieux entendu.

Demander si les Spectacles sont bons ou mauvais en eux-mêmes, c’est faire une question trop vague ; c’est examiner un rapport avant que d’avoir fixé les termes. Les Spectacles sont faits pour le peuple, & ce n’est que par leurs effets sur lui, qu’on peut déterminer leurs qualités absolues. Il peut y avoir des Spectacles d’une infinité d’especes (*) ;

[* “Il peut y avoir des spectacles blâmables en eux-mêmes, comme ceux qui sont inhumains, ou indécens & licentieux : tels étoient quelques-uns des spectacles parmi les Païens. Mais il en est aussi d’indifferens en eux-mêmes qui ne deviennent mauvais que par l’abus qu’on en fait. Par exemple, les pieces de Théâtre n’ont rien de mauvais en tant qu’on y trouve une peinture des caracteres & des actions des hommes, où l’on pourroit même donner des leçons agréables & utiles pour toutes les conditions ; mais si l’on y débite une morale relâchée, si les personnes qui exercent cette profession menent une vie licentieuse & servent à corrompre les autres, si de tels spectacles entretiennent la vanité, la fainéantise, le luxe, l’impudicité, il est visible alors que la chose tourne en abus, & qu’à moins qu’on ne trouve le moyen de corriger ces abus ou de s’en garantir, il vaut mieux renoncer à cette sorte d’amusement.” Instruction Chrét. T. III. L. III. Chap. 16.

Voila l’état de la question bien posé. Il s’agit de savoir si la morale du Théâtre est nécessairement relâchée, si les abus sont inévitables, si les inconvéniens dérivent de la nature de la chose, ou s’ils viennent de causes qu’on ne puisse écarter.]

il y a de