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soit en état de le connoître. Ce jugement est-il naturel ; & lequel paroît chercher à séduire, de celui qui ne veut parler qu’à des hommes, ou de celui qui s’adresse aux enfants ?

Vous me censurez d’avoir dit & montré que tout enfant qui croit en Dieu est idolâtre ou anthropomorphite, & vous combattez cela en disant*

[*Ibid. VII] qu’on ne peut supposer ni l’un ni l’autre d’un enfant qui a reçu une éducation Chrétienne. Voilà ce qui est en question ; reste à voir la preuve. La mienne est que l’éducation la plus Chrétienne ne sauroit donner à l’enfant l’entendement qu’il n’a pas, ni détacher ses idées des êtres matériels, au-dessus desquels tant d’hommes ne sauroient élever les leurs. J’en appelle, de plus, à l’expérience : j’exhorte chacun des lecteurs à consulter sa mémoire, & à se rappeller si, lorsqu’il a cru en Dieu étant enfant, il ne s’en est pas toujours fait quelque image. Quand vous lui dites que la divinité n’est rien de ce qui peut tomber sous les sens ; ou son esprit troublé n’entend rien, ou il entend qu’elle n’est rien. Quand vous lui parlez d’une intelligence infinie, il ne sait ce que c’est qu’intelligence, & il sait encore moins ce que c’est qu’infini. Mais vous lui ferez répéter après vous les mots qu’il vous plaira de lui dire ; vous lui ferez même ajouter, s’il le faut, qu’il les entend ;car cela ne coûte guères ; & il aime encore mieux dire qu’il les entend que d’être grondé ou puni. Tous les anciens, sans excepter les Juifs, se sont représenté Dieu corporel ; & combien de Chrétiens, sur-tout de Catholiques, sont encore aujourd’hui dans ce cas-là ? Si vos enfants parlent comme des hommes, c’est