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je le regretterai sans cesse, & il manque bien plus encore à mon cœur qu’a mes écrits.

La solitude calme l’ame, & appaise les passions le désordre du monde à fait naître. Loin des vices qui nous irritent, on en parle avec moins d’indignation ; loin des maux qui nous touchent, le cœur en est moins ému. Depuis que je ne vois plus les hommes, j’ai presque cesse de haÏr les méchans. D’ailleurs, le mal qu’ils m’ont fait à moi-même m’ôte le droit d’en dire d’eux. Il faut désormais que je leur pardonne pour ne leur pas ressembler. Sans y songer, je substituerois l’amour de la vengeance à celui de la justice ; il vaut mieux tout oublier. J’espere qu’on ne une trouvera plus cette âpreté qu’on me reprochoit, mais qui me faisoit lire ; je consens d’être moins lu, pourvu que je vive en paix.

À ces raisons il s’en joint une autre plus cruelle & que je voudrois en vain dissimuler ; le public ne la sentiroit que trop malgré moi. Si dans les essais sortis de ma plume ce papier est encore au-dessous des autres, c’est moins la faute des circonstances que la mienne : c’est que je suis au-dessous de moi-même. Les maux du corps épuisent l’ame : à force de souffrir, elle perd