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de l’homme. J’appelle éducation négative celle qui tend à perfectionner les organes, instruments de nos connoissances, avant de nous donner ces connoissances & qui prépare à la raison par l’exercice des sens. L’éducation négative n’est pas oisive, tant s’en faut. Elle ne donne pas les vertus, mais elle prévient les vices ; elle n’apprend pas la vérité, mais elle préserve de l’erreur. Elle dispose l’enfant à tout ce qui peut le mener au vrai quand il est en état de l’entendre, & au bien quand il est en état de l’aimer.

Cette marche vous déplaît & vous choque ; il est aisé de voir pourquoi. Vous commencez par calomnier les intentions de celui qui la propose. Selon vous, cette oisiveté de l’ame m’a paru nécessaire pour la disposer aux erreurs que je lui voulois inculquer. On ne sait pourtant pas trop quelle erreur veut donner à son éleve, celui qui ne lui apprend rien avec plus de soin qu’à sentir son ignorance & à savoir qu’il ne sait rien. Vous convenez que le jugement a ses progrès & ne se forme que par degrés. Mais s’ensuit-il,*

[Ibid. VI.] ajoutez-vous, qu’à l’âge de dix ans un enfant ne connoisse pas la différence du bien & du mal, qu’il confonde la sagesse avec la folie, la bonté avec la barbarie, la vertu avec le vice ? Tout cela s’ensuit, sans doute, si à cet âge le jugement n’est pas développé. Quoi !poursuivez-vous, il ne sentira pas qu’obéir a son pere est un bien, que lui désobéir est un mal ? Bien-loin de-là ; je soutiens qu’il sentira, au contraire, en quittant le jeu pour aller étudier sa leçon, qu’obéir à son pere est un mal, & que lui désobéir est un