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que le Roi d’Angleterre à conserver la Constitution établie, mais par un motif bien différent. Voilà toute la parité que je trouve entre l’Etat politique de l’Angleterre & le vôtre. Je vous laisse à juger dans lequel est la liberté.

Après cette comparaison, l’Auteur, qui se plaît à vous présenter de grands exemples, vous offre celui de l’ancienne Rome. Il lui reproche avec dédain ses Tribuns brouillons & séditieux : il déplore amèrement, sous cette orageuse administration, le triste sort de cette malheureuse Ville, qui pourtant, n’étant rien encore à l’érection de cette Magistrature, eut sous elle cinq cents ans de gloire & de prospérités, & devint la Capitale du monde. Elle finit enfin parce qu’il faut que tout finisse ; elle finit par les usurpations de ses Grands, de ses Consuls, de ses Généraux qui l’envahirent : elle périt par l’excès de sa puissance ; mais elle ne l’avoit acquise que par la bonté de son Gouvernement. On peut dire en ce sens que ses Tribuns la détruisirent*.

[* Les Tribuns ne sortoient point de la Ville ; ils n’avoient aucune autorité hors de ses murs : aussi les Consuls, pour se soustraire à leur inspection, tenoient-ils quelquefois les Comices dans la campagne. Or les fers des Romains ne furent point forgés dans Rome, mais dans ses armées, & ce fut par leurs conquêtes qu’ils perdirent leur liberté. Cette perte ne vint donc pas des Tribuns.

Il est vrai que César se servit d’eux comme Sylla s’étoit servi du Sénat ; chacun prenoit les moyens qu’il jugeoit les plus prompts ou les plus sûrs pour parvenir : mais il faloit bien que quelqu’un parvint, & qu’importoit qui de Marius ou de Sylla, de César ou de Pompée, d’Octave ou d’Antoine fût l’usurpateur ? Quelque parti qui l’emportât, l’usurpation n’en étoit pas moins inévitable ; il faloit des Chefs aux Armées éloignées, & il étoit sûr qu’un de ces Chefs deviendroit le Maître de l’Etat. Le Tribunat ne faisoit pas à cela la moindre chose.

Au reste, cette même sortie que fait ici l’Auteur des Lettres écrites de la Campagne sur les Tribuns du Peuple, avoit été déjà faite en 1715 par M. de Chapeaurouge, Conseiller d’Etat, dans un Mémoire contre l’Office de Procureur-Général. M. Louis le Fort, qui remplissoit alors cette charge avec éclat, lui fit voir dans une

très-belle lettre en réponse à ce Mémoire, que le crédit & l’autorité des Tribuns avoient été le salut de la République, & que sa destruction n’étoit point venue d’eux, mais des Consuls. Sûrement le Procureur-Général Le Fort ne prévoyoit guères par qui seroit renouvelé de nos jours le sentiment qu’il réfutoit si bien.]

Au reste je n’excuse pas les fautes du Peuple Romain, je les ai dites dans le Contrat Social : je l’ai blâmé d’avoir