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Souvent l’injustice & la fraude trouvent des protecteurs ; jamais elles n’ont le public pour elles : c’est en ceci que la voix du Peuple est la voix de Dieu ; mais malheureusement cette voix sacrée est toujours foible dans les affaires contre le cri de la puissance, & la plainte de l’innocence opprimée s’exhale en murmures méprisés par la tyrannie. Tout ce qui se fait par brigue & séduction, se fait par préférence au profit de ceux qui gouvernent ; cela ne sauroit être autrement. La ruse, le préjugé, l’intérêt, la crainte, l’espoir, la vanité, les couleurs spécieuses, un air d’ordre & de subordination, tout est pour des hommes habiles constitués en autorité & versés dans l’art d’abuser le Peuple. Quand il s’agit d’opposer l’adresse à l’adresse, ou le crédit au crédit, quel avantage immense n’ont pas dans une petite Ville les premières familles toujours unies pour dominer, leurs amis, leurs clients, leurs créatures ; tout cela joint à tout le pouvoir des Conseils, pour écraser des particuliers qui oseroient leur faire tête, avec des sophismes pour toutes armes ? Voyez autour de vous dans cet instant même. L’appui des loix, l’équité, la vérité, l’évidence, l’intérêt commun, le soin de la sûreté particulière, tout ce qui devroit entraîner la foule, suffit à peine pour protéger des Citoyens respectés qui réclament contre l’iniquité la plus manifeste ; & l’on veut que chez un Peuple éclairé, l’intérêt d’un brouillon fasse plus de partisans que n’en peut faire celui de l’Etat ! Ou je connois mal votre Bourgeoisie & vos Chefs, ou si jamais il se fait une seule Représentation mal fondée, ce qui n’est pas encore arrivé que je sache, l’Auteur, s’il n’est méprisable, est un homme perdu.