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progrès, les hommes commencent à jetter les yeux sur leurs semblables, ils commencent aussi à voir leurs rapports & les rapports des choses, à prendre des idées de convenance de justice & d’ordre ; le beau moral commence à leur devenir sensible & la conscience agit. Alors ils ont des vertus, & s’ils ont aussi des vices, c’est parce que leurs intérêts se croisent & que leur ambition s’éveille, à mesure que leurs lumieres s’étendent. Mais tant qu’il y a moins d’opposition d’intérêts que de concours de lumieres, les hommes sont essentiellement bons. Voilà le second état.

Quand enfin tous les intérêts particuliers agités s’entre-choquent, quand l’amour de soi mis en fermentation devient amour-propre, que l’opinion, rendant l’univers entier nécessaire à chaque homme, les rend tous ennemis nés les uns des autres, & fait que nul ne trouve son bien que dans le mal d’autrui : alors la conscience, plus foible que les passions exaltées est étouffée par elles, & ne reste plus dans la bouche des hommes qu’un mot fait pour se tromper mutuellement. Chacun feint alors de vouloir sacrifier ses intérêts à ceux du public, & tous mentent. Nul ne veut le bien public que quand il s’accorde avec le sien ; aussi cet accord est-il l’objet du vrai politique qui cherche à rendre les peuples heureux & bons. Mais c’est ici que je commence à parler une langue étrangere, aussi peu connue des Lecteurs que de vous.

Voilà, Monseigneur, le troisieme & dernier terme, au-delà duquel rien ne reste à faire, & voilà comment l’homme étant bon, les hommes deviennent méchans. C’est à