Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/286

Cette page n’a pas encore été corrigée

Peuples, combien on vous en fait accroire, en faisant si souvent intervenir les Puissances pour autoriser le mal qu’elles ignorent, & qu’on veut faire en leur nom !

Lorsque j’arrivai dans ce pays, on eût dit que tout le Royaume de France étoit à mes trousses. On brûle mes Livres à Geneve ; c’est pour complaire à la France. On m’y décrete ; la France le veut ainsi. L’on me fait chasser du Canton de Berne : c’est la France qui l’a demandé. L’on me poursuit jusque dans ces Montagnes ; si l’on m’en eût pu chasser, c’eût encore été la France. Forcé par mille outrages, j’écris une Lettre apologétique. Pour le coup tout étoit perdu. J’étois entouré, surveillé ; la France envoyoit des espions pour me guetter, des Soldats pour m’enlever, des brigands pour m’assassiner ; il étoit même imprudent de sortir de ma maison. Tous les dangers me venoient toujours de la France, du Parlement, du Clergé, de la Cour même ; on ne vit de la vie un pauvre barbouilleur de papier devenir, pour son malheur, un homme aussi important. Ennuyé de tant de bêtises, je vais en France ; je connoissois les François, & j’étois malheureux ! On m’accueille, on me caresse, je reçois mille honnêtetés, & il ne tient qu’à moi d’en recevoir davantage. Je retourne tranquillement chez moi. L’on tombe des nues ; on n’en revient pas ; on blâme fortement mon étourderie, mais on cesse de me menacer de la France : on a raison. Si jamais des assassins daignent terminer mes souffrances, ce n’est sûrement pas de ce pays-là qu’ils viendront.

Je ne confonds point les diverses causes de mes disgrâces ; je sais bien discerner celles qui sont l’effet des circonstances,