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établis, la chaîne d’un raisonnement suivi, des conséquences déduites, manifestent l’intention de l’Auteur ; & cette intention dépendant de sa volonté, rentre sous la juridiction des Loix. Si cette intention est évidemment mauvaise, ce n’est plus erreur ni faute, c’est crime ; ici tout change. Il ne s’agit plus d’une dispute littéraire dont le Public juge selon la raison, mais d’un procès criminel qui doit être jugé dans les Tribunaux selon toute la rigueur des Loix : telle est la position critique où m’ont mis des Magistrats qui se disent justes, & des Ecrivains zélés qui les trouvent trop elémens. Si-tôt qu’on m’apprête des prisons, des bourreaux, des chaînes, quiconque m’accuse est un délateur ; il soit qu’il n’attaque pas seulement l’Auteur, mais l’homme ; il soit que ce qu’il écrit peut influer sur mon sort ;*

[* Il y a quelques années qu’à la première apparition d’un Livre célèbre, je résolus d’en attaquer les principes que je trouvais dangereux. J’exécutois cette entreprise quand j’appris que l’Auteur étoit poursuivi. À l’instant je jettai mes feuilles au feu, jugeant qu’aucun devoir ne pouvoit autoriser la bassesse de s’unir à la foule pour accabler un homme d’honneur opprimé. Quand tout fut pacifié, j’eus occasion de dire mon sentiment sur le même sujet dans d’autres Ecrits ; mais je l’ai dit sans nommer le Livre ni l’auteur. J’ai cru devoir ajouter ce respect pour son malheur, à l’estime que j’eus toujours pour sa personne. Je ne crois point que cette façon de penser me soit particulière ; elle est commune à tous les honnêtes gens. Si-tôt qu’une affaire est portée au criminel, ils doivent se taire, à moins qu’ils ne soient appellés pour témoigner. ] ce n’est plus à ma seule réputation qu’il en veut, c’est à mon honneur, à ma liberté, à ma vie.

Ceci, Monsieur, nous ramène tout d’un coup à l’état de la question dont il me paroît que le public s’écarte. Si j’ai