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gens d’un autre parti. Voulez-vous instruire dans les livres ? quelle érudition il faut acquérir, que de langues il faut apprendre, que de bibliothéques il faut feuilleter, quelle immense lecture il faut faire ! Qui me guidera dans le choix ? Difficilement trouvera-t-on dans un pays les meilleurs livres du parti contraire, à plus forte raison ceux de tous les partis ; quand on les trouveroit, ils seroient bientôt réfutés. L’absent a toujours tort, & de mauvaises raisons dites avec assurance, effacent aisément les bonnes exposées avec mépris. D’ailleurs souvent les livres nous trompent, & ne rendent pas fidelement les sentimens de ceux qui les ont écrits. Quand vous avez voulu juger de la Foi catholique sur le livre de Bossuet, vous vous êtes trouvé loin de compte après avoir vécu parmi nous. Vous avez vu que la doctrine avec laquelle on répond aux Protestans n’est point celle qu’on enseigne au peuple, & que le livre de Bossuet ne ressemble gueres aux instructions du prône. Pour bien juger d’une religion, il ne faut pas l’étudier dans les livres de ses sectateurs, il faut aller l’apprendre chez eux ; cela est fort différent. Chacun a ses traditions, son sens, ses coutumes, ses préjugés, qui font l’espri de sa croyance, & qu’il y faut joindre pour en juger.

Combien de grands peuples n’impriment point de livres & ne lisent pas les nôtres ! Comment jugeront-ils de nos opinions ? comment jugerons-nous les leurs ? Nous les raillons, ils nous raillent : ils ne savent pas nos raisons, nous ne savons pas les leurs, & si nos voyageurs les tournent en ridicule, il ne leur manque, pour nous le rendre,