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état c’est ne vouloir plus être homme, c’est vouloir autre chose que ce qui est, c’est vouloir le désordre & le mal. Source de justice & de vérité, Dieu clément & bon ! dans ma confiance en toi, le suprême vœu de mon cœur est que ta volonté soit faite. En y joignant la mienne, je fais ce que tu fais, j’acquiesce à ta bonté ; je crois partager d’avance la suprême félicité qui en est le prix.

Dans la juste défiance de moi-même la seule chose que je lui demande, ou plutôt que j’attends de sa justice, est de redresser mon erreur si je m’égare, & si cette erreur m’est dangereuse. Pour être de bonne foi je ne me crois pas infaillible : mes opinions qui me semblent les plus vraies sont peut-être autant de mensonges ; car quel homme ne tient pas aux siennes, & combien d’hommes sont d’accord en tout ? L’illusion qui m’abuse a beau me venir de moi, c’est lui seul qui m’en peut guérir. J’ai fait ce que j’ai pu pour atteindre à la vérité ; mais sa source est trop élevée : quand les forces me manquent pour aller plus loin, de quoi puis-je être coupable ? C’est à elle à s’approcher.

Le bon Prêtre avoit parlé avec véhémence ; il étoit ému, je l’étois aussi. Je croyois entendre le divin Orphée chanter les premieres hymnes, & apprendre aux hommes le culte des Dieux. Cependant je voyois des foules d’objections à lui faire ; je n’en fis pas une, parce qu’elles étoient moins solides qu’embarrassantes, & que la persuasion étoit pour lui. À mesure qu’il me parloit selon sa conscience, la mienne sembloit me confirmer ce qu’il m’avoit dit.