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leur intérêt, à tout ce qui est juste & bon. L’iniquité ne plaît qu’autant qu’on en profite ; dans tout le reste on veut que l’innocent soit protégé. Voit-on dans une rue ou sur un chemin quelque acte de violence & d’injustice, à l’instant un mouvement de colère & d’indignation s’élève au fond du cœur, & nous porte à prendre la défense de l’opprimé : mais un devoir plus puissant nous retient, & les lois nous ôtent le droit de protéger l’innocence. Au contraire, si quelque acte de démence ou de générosité frappe nos yeux, quelle admiration, quel amour il nous inspire ! Qui est-ce qui ne se dit pas : J’en voudrois avoir fait autant ? Il nous importe sûrement fort eu qu’un homme ait été méchant ou juste il y a deux mille ans ; & cependant le même intérêt nous affecte dans l’histoire ancienne, que si tout cela s’étoit passé de nos jours. Que me font à moi les crimes de Catilina ? ai-je peur d’être sa victime ? Pourquoi donc ai-je de lui la même horreur que s’il étoit mon contemporain ? Nous ne haïssons pas seulement les méchants parce qu’ils nous nuisent, mais parce qu’ils sont méchants. Non seulement nous voulons être heureux, nous voulons aussi le bonheur d’autrui, & quand ce bonheur ne coûte rien au nôtre, il l’augmente. Enfin l’on a, malgré soi, pitié des infortunés ; quand on est témoin de leur mal on en souffre. Les plus pervers ne sauroient perdre tout à fait ce penchant ; souvent il les met en contradiction avec eux-mêmes. Le voleur qui dépouille les passants couvre encore la nudité du pauvre ; & le plus féroce assassin soutient un homme tombant en défaillance.

On parle du cri des remords, qui punit en secret les crimes