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cela rn’arrivoit, peu m’importoit ; je restois-là sans impatience, j’y travaillois tout comme ailleurs ; j’y aurois sans peine passé ma vie si l’on m’y eût toujours retenu, & mon peu d’empressement d’aller plus loin m’ouvroit enfin tous les passages. L’air affairé & soucieux est toujours suspect, mais un homme tranquille inspire de la confiance ; tout le monde me laissoit libre en voyant qu’on pouvoir disposer de moi sans me fâcher.

Quand je ne trouvois pas à travailler de mon métier, ce qui étoit rare, j’en faisois d’autres. Vous m’aviez fait acquérir l’instrument universel. Tantôt paysan, tantôt artisan, tantôt artiste, quelquefois même homme à talens, j’avois par-tout quelque connoissance de mise, & je me rendois maître de leur usage par mon peu d’empressement à les montrer. Un des fruits de mon éducation étoit d’être pris au mot sur ce que je me donnois pour être, & rien de plus ; parce que j’étois simple en toute chose, & qu’en remplissant un poste je n’en briguois pas un autre. Ainsi, j’étois toujours à ma place l’on m’y laissoit toujours.

Si je tombois malade, accident bien rare à un homme de mon tempérament qui ne fait excès ni d’alimens, ni de soucis, ni de travail, ni de repos, je restois coi sans me tourmenter de guérir, ni m’effrayer de mourir. L’animal malade jeûne, reste en place, & guérit ou meurt ; je faisois de même, & je m’en trouvois bien. Si je me fusse inquiété de mon état, si j’eusse importuné les gens de mes craintes & de mes plaintes, ils se seroient ennuyés de moi, j’eusse inspiré moins d’intérêt & d’empressement que n’en donnoit ma patience. Voyant