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nature intéresse aux petits evenemens de notre vie ? N’eût-on pas dit à me voir délibérer sur mon séjour qu’il importoit beaucoup au genre humain que j’allasse habiter un pays plutôt qu’un autre, & que le poids de mon corps alloit rompre l’équilibre du globe ? Si je n’estimois mon existence que ce qu’elle vaut pour mes semblables, je m’inquiéterois moins d’aller chercher des devoirs à remplir, comme s’ils ne me suivoient pas en quelque lieu que je fusse, & qu’il ne s’en présentât pas toujours autant qu’en peut remplir celui qui les aime ; je me dirois qu’en quelque lieu que je vive, en quelque situation que je sois, je trouverai toujours à faire ma tâche d’homme, & que nul n’auroit besoin des autres si chacun vivoit convenablement pour foi.

Le sage vit au pour la journée, & trouve tous ses devoirs quotidiens autour de lui. Ne tentons rien au-delà de nos forces & ne nous portons point en avant de notre existence. Mes devoirs d’aujourd’hui sont ma seule tâche, ceux de demain ne sont pas encore venus. Ce que je dois faire à présent est de m’éloigner de Sophie, & le chemin que je dois choisir est celui qui m’en éloigne le plus directement. Tenons-nous en là.

Cette résolution prise, je mis l’ordre qui dépendoit de moi à tout ce que je laissois en arriere ; je vous écrivis, j’écrivis à ma famille, j’écrivis à Sophie elle-même. Je réglai tout, je n’oubliai que les soins qui pouvoient regarder ma personne ; aucun ne m’étoit nécessaire, & sans valet, sans argent, sans équipage, mais sans desirs & sans soins je partis seul & à pied. Chez les Peuples où j’ai vécu, sur les mers que j’ai