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s’arrangeassent assez dans ma tête pour me montrer ce que j’avois à faire, & cependant en comparant mon état à celui qui l’avoit précédé, j’étois dans le calme ; c’est l’avantage que procure indépendamment des événemens toute conduite conforme à la raison. Si l’on n’est pas heureux malgré la fortune, quand on sait maintenir son cœur dans l’ordre, on est tranquille au moins en dépit du fort. Mais que cette tranquillité tient à peu de chose dans une ame sensible ! Il est bien aisé de se mettre dans l’ordre, ce qui est difficile c’est d’y rester. Je faillis voir renverser toutes mes résolutions au moment que je les croyois le plus affermies.

J’étois entré chez le maître fans m’y faire beaucoup remarquer. J’avois toujours conservé dans mes vêtemens la simplicité que vous m’aviez fait aimer ; mes maniérés n’étoient pas plus recherchées, & l’air aisé d’un homme qui se sent par-tout à sa place, étoit moins remarquable chez un menuiser qu’il ne l’eût été chez un Grand. On voyoit pour-tant bien que mon équipage n’étoit pas celui d’un ouvrier ; mais à ma maniere de me mettre à l’ouvrage on jugea que je l’avois été, & qu’ensuite avancé à quelque petit poste j’en étois déchu pour rentrer dans mon premier état. Un petit parvenu retombé n’inspire pas une grande considération, & l’on me prenoit à peu près au mot sur l’égalité où je m’étois mis. Tout-à-coup je vis changer avec moi le ton de toute la famille. La familiarité prit plus de réserve, on me regardoit au travail avec une forte d’étonnement ; tout ce que je faisois dans l’attelier ( & j’y faisois tout mieux