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au désespoir en se voyant arracher son enfant. Je me vainquis toutefois ; je formai, non sans déchirement, cette résolution barbare, & la regardant comme une suite nécessaire de la premiere où j’étois sûr d’avoir bien raisonné, je l’aurois certainement exécuté malgré ma répugnance, si un événement imprévu ne m’eût contraint à la mieux examiner.

Il me restoit à faire une autre délibération que je comptois pour peu de chose, après celle dont je venois de me tirer. Mon parti étoit pris par rapport à Sophie, il me restoit à le prendre par rapport à moi, & à voir ce que je voulois devenir me retrouvant seul. Il y avoir long-tems que je n’étois plus un être isolé sur la terre : mon cœur tenoit, comme vous me l’aviez prédit, aux attachemens qu’il s’étoit donnés, il s’étoit accoutumé à ne faire qu’un avec ma famille ; il faloit l’en détacher, du moins en partie, & cela même étoit plus pénible que de l’en détacher tout-à-fait. Quel vuide il se fait en nous, combien on perd de son existence quand on à tenu à tant de choses, & qu’il faut ne tenir plus qu’a soi, ou qui pis est, à ce qui nous fait sentir incessamment le détachement du reste. J’avois a chercher si j’étois cet homme encore, qui fait remplir sa place dans son espece, quand nul individu ne s’y intéresse plus.

Mais où est-elle cette place pour celui dont tous les rapports sont détruits ou changés ? Que faire, que devenir, ou porter mes pas, à quoi employer une vie qui ne devoit plus faire mon bonheur ni celui de ce qui m’étoit cher, & dont le sort m’ôtoit jusqu’à l’espoir de contribuer au bonheur