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que préjugés pour préjugés ceux des bonnes mœurs en ont un de plus qui les favorise : que c’est avec raison qu’on impute à un mari le désordre de sa femme, soit pour l’avoir mal choisie, soit pour la mal gouverner ; que j’étois moi-même un exemple de la justice de cette imputation, & que, si Emile eût été toujours sage, Sophie n’eût jamais failli ; qu’on a droit de présumer que celle qui ne se respecte pas elle-même, respecte au moins son mari s’il en est digne, & s’il sait conserver son autorité ; que le tort de ne pas prévenir le dérèglement d’une femme est aggravé par l’infamie de le souffrir ; que les conséquences de l’impunité sont effrayantes, & qu’en pareil cas cette impunité marque dans !’offensé une indifférence pour les mœurs honnêtes, & une bassesse d’ame indigne de tout honneur.

Je sentois sur-tout en mon fait particulier, que ce qui rendoit Sophie encore estimable en étoit plus désespérant pour moi : car on peut soutenir ou renforcer une ame foible, & celle que l’oubli du devoir y sait manquer, y peut être ramenée par la raison ; mais comment ramener celle qui garde en péchant tout son courage, qui sait avoir des vertus dans le crime & ne sait le mal que comme il lui plaît ? Oui, Sophie est coupable parce qu’elle à voulu l’être. Quand cette ame hautaine à pu vaincre la honte, elle à pu vaincre toute autre passion ; il ne lui en eût pas plus coûté pour m’être fidelle que pour me déclarer son forfait.

En vain je reviendrois à mon épouse, elle ne reviendroit plus à moi. Si celle qui m’tant aimé, si celle qui m’étoit si chere à pu m’outrager, si ma Sophie à pu rompre les