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poursuivie ? Amour, honneur, foi, vertus, ou étes-vous ? La sublime, la noble Sophie n’est qu’une infâme ! Cette exclamation que mon transport fit éclater, fut suivie d’un tel déchirement de cœur, qu’oppressé par les sanglots, je ne pouvois ni respirer ni gémir : sans la rage & l’emportement qui succéderont, ce saisissement m’eût sans doute étouffé. Ô qui pourroit démêler, exprimer cette confusion de sentimens divers que la honte, l’amour, la fureur, les regrets, l’attendrissement, la jalousie, l’affreux désespoir me firent éprouver à la fois ? Non, cette situation, ce tumulte ne peut se décrire. L’épanouissement de l’extrême joie, qui, d’un mouvement uniforme semble étendre & raréfier tout notre être, se conçoit, s’imagine aisément. Mais quand l’excessive douleur rassemble dans le sein d’un misérable toutes les furies des enfers ; quand mille tiraillemens opposés le déchirent sans qu’il puisse en distinguer un seul ; quand il se lent mettre en pièces par cent forces diverses qui l’entraînent en feins contraire, il n’est plus un, il est tout entier à chaque point de douleur, il semble se multiplier pour souffrir. Tel étoit mon état, tel il fut durant plusieurs heures ; comment en faire le tableau ? Je ne dirois pas en des volumes ce que je sentois à chaque instant. Hommes heureux, qui dans une âme étroite & dans un cœur tiède ne connoissez de revers que ceux de la fortune, ni de passions qu’un vil intérêt, puisiez-vous traiter toujours cet horrible état de chimere & n’éprouver jamais les tourmens cruels que donnent de plus dignes attachemens, quand ils se rompent, aux cœurs faits pour les sentir.

Nos forces sont bornées & tous les transports violens ont