Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/473

Cette page n’a pas encore été corrigée

aimer ce qui nous est cher, que de vouloir tout ce qu’il desire ? On évite la cruelle nécessité de se fuir.

Ce systême ainsi mis à découvert tout d’un coup nous eût fait horreur. Mais on ne fait pas combien : les épanchemens l’amitié sont passer de choses qui révolteroient sans elle ; on ne fait pas combien une philosophie si bien adaptée aux vices du cœur humain, une philosophie qui n’offre au lieu des sentimens qu’on n’est plus maître d’avoir, au lieu du devoir caché qui tourmente, & qui ne profite à personne, que soins, procédés, bienféances, attentions, que franchise, liberté, sincérité, confiance ; on ne fait pas, dis-je, combien tout ce qui maintient l’union entre les personnes, quand les cœurs ne font plus unis, à d’attroit pour les meilleurs naturels, & devient séduisant sous le masque de la sagesse : la raison même auroit peine à se défendre, si la conscience ne venoit au secours. C’étoit-là ce qui maintenoit entre Sophie & moi, la honte de nous montrer un empressement que nous n’avions plus. Le couple qui nous avoit subjugues s’outrageoit sans contrainte & croyoit s’aimer : mais un ancien respect l’un pour l’autre, que nous ne pouvions vaincre, nous forçoit à nous fuir pour nous outrage. En paroissant nous être mutuellement à charge, nous étions plus prés de nous réunir qu’eux qui ne se quittoient point. Cesser de s’éviter quand on s’offense, c’est être surs de ne se rapprocher jamais.

Mais au moment où l’éloignement entre nous étoit le plus marqué, tout changea de la maniere de la plus bizarre. Tout-à-coup Sophie devint aussi sédentaire & retirée qu’elle avoir été. dissipée jufsqu’alors. Son humeur, qui n’etoit pas toujours