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ma complaisance pour des liaisons trop aimables, que l’habitude commençoit à tourner en amitié ! Comment l’exemple & l’imitation contre lesquels vous aviez si bien armé mon cœur, l’amenerent-ils insensiblement à ces goûts frivoles que, plus jeune, j’avois sçu dédaigner ? Qu’il est différent de voir les choses distroit par d’autres objets ou seulement occupé de ceux qui nous frappant ! Ce n’étoit plus le tems où mon imagination échauffée ne cherchoit que Sophie, & rebutoit tout ce qui n’étoit pas elle. Je ne la cherchois plus, je la possedois, & son charme embellissoit alors autant les objets qu’il les avoit défigurés dans ma premiere jeuneffe. Mais bientôt ces mêmes objets affoiblirent mes goûts en les partageant. Usé peu-à-peu sur tous ces amusemens frivoles, mon cœur perdoit insensiblement son premier ressort & devenoit incapable de chaleur & de force ; j’errois avec inquiétude d’un plaisir à l’autre ; je recherchois tout & je m’ennuyois de tout ; je ne me plaisois qu’où je n’étois pas, & m’étour dissois pour m’amuser. Je sentois une révolution dont je ne voulois point me convaincre ; je ne me laissois pas le tems de rentrer en moi, crainte de ne m’y plus retrouver. Tous mes attachemens. s’étoient relâchés, toutes mes affections s’étoient attiédies : j’avois mis un jargon de sentiment & de morale à la place de la réalité. J’étois un homme galant sans tendresse, un StoÏcien sans vertus, un sage occupé de folies, je n’avois plus de votre Emile que le nom & quelques discours. Ma franchise, ma liberté, mes plaisirs, mes devoirs, vous, mon fils, Sophie elle- même, tout ce qui jadis animoit, élevoit mon esprit & faisoit la plénitude de mon existence, en se