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ne nous a-t-il pas conduits à ces jours de paix & de gloire, où, vainqueurs du sort, des hommes & d’eux-mêmes, Emile & Sophie, ivres d’amour & brillans de vertus, auroient, loin des humains & dans le calme de l’innocence, retrouvé le bonheur de leurs premiers ans

Quel cœur flétri par le sentiment de leurs peines, ne se seroit pas ranimé aux doux accens de leur félicite !

Oui, ma Sophie, retraçons le cours fortuné de nos beaux jours, n’en laissons point effacer la mémoire, après les avoir rendus si charmans. Rappellons leurs transports, leurs délices ; rappellons jufqu’à leurs traverses, jusqu’à ces tems cruels de ta faute & de mon désespoir. Tems de douleurs & de larmes, que l’amour, les vertus, le bonheur ont si bien rachetés ! Oh ! qui voudroit à ce prix n’avoir pas souffert, n’avoir pas gémi, n’avoir pas détesté sa vie & n’avoir pas vécu !

Pleurs de douleur & de rage, qu’êtes-vous dans ces torrens de joie & de plaisirs qui vous ont absorbes !

Souvenirs amers & délicieux, ne vous dérobe jamais à nos cours, dont rien ne peut plus troubler la paix.

Tenez-nous lieu de tout maintenant que, bornés à jamais l’un à l’autre, nous sommes seuls sur la terre, & que le genre humain n’est plus rien pour nous.

Sophie, ma chere Sophie, que ne puis-je revivre tous les jours de ma vie dans chacun de ceux que je passe avec toi, je n’en aurois jamais assez pour goûter ma félicité !