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sur moi malgré moi par la seule impulsion physique ; &, par mon intelligence, je suis le seul qui ait inspection sur le tout. Quel être ici-bas, hors l’homme, sait observer tous les autres, mesurer, calculer, prévoir leurs mouvements, leurs effets, & joindre, pour ainsi dire, le sentiment de l’existence commune a celui de son existence individuelle ? Qu’y a-t-il de si ridicule à penser que tout est fait pour moi, si le suis le seul qui sache tout rapporter à lui ?

Il est donc vrai que l’homme est le roi de la terre qu’il habite ; car non seulement il dompte tous les animaux, non seulement il dispose des éléments par son industrie, mais lui seul sur la terre en sait disposer, & il s’approprie encore, par la contemplation, les astres mêmes dont il ne peut approcher. Qu’on me montre un autre animal sur la terre qui sache faire usage du feu, & qui sache admirer le soleil. Quoi ! je puis observer, connoître les êtres & leurs rapports ? je puis sentir ce que c’est qu’ordre, beauté, vertu ; je puis contempler l’univers, m’élever à la main qui le gouverne ; je puis aimer le bien, le faire ; & je me comparerais aux bêtes ! Ame abjecte, c’est ta triste philosophie qui te rend semblable à elles : ou plutôt tu veux en vain t’avilir, ton génie dépose contre tes principes, ton cœur bienfaisant dément ta doctrine, & l’abus même de tes facultés prouve leur excellence en dépit de toi.

Pour moi qui n’ai point de système à soutenir, moi, homme simple & vrai, que la fureur d’aucun parti n’entraîne & qui n’aspire point à l’honneur d’être chef de secte,