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un homme peut être plus utile à ses concitoyens hors de sa patrie que s’il vivoit sans son sein. Alors il doit n’écouter que son zèle et supporter son exil sans murmure ; cet exil même est un de ses devoirs. Mais toi, bon Emile, à qui rien n’impose ces douloureux sacrifices, toi qui n’as pas pris le triste emploi de dire la vérité aux hommes, va vivre au milieu d’eux, cultive leur amitié dans un doux commerce, sois leur bienfaiteur, leur modèle : ton exemple leur servira plus que tous nos livres, & le bien qu’ils te verront faire les touchera plus que tous nos vains discours."

"Je ne t’exhorte pas pour cela d’aller vivre dans les grandes villes ; au contraire, un des exemples que les bons doivent donner aux autres est celui de la vie patriarcale & champêtre, la première vie de l’homme, la plus paisible, la plus naturelle & la plus douce à qui n’a pas le cœur corrompu. Heureux, mon jeune ami, le pays où l’on n’a pas besoin d’aller chercher la paix dans un désert ! Mais où est ce pays ? Un homme bienfaisant satisfoit mal son penchant au milieu des villes, où il ne trouve presque à exercer son zèle que pour des intrigants ou pour des fripons. L’accueil qu’on y fait aux fainéants qui viennent y chercher fortune ne fait qu’achever de dévaster le pays, qu’au contraire il faudroit repeupler aux dépens des villes. Tous les hommes qui se retirent de la grande société sont utiles précisément parce qu’ils s’en retirent, puisque tous ses vices lui viennent d’être trop nombreuse. Ils sont encore utiles lorsqu’ils peuvent ramener dans les lieux déserts de la vie la culture & l’amour de leur premier état. Je