n’en connois pas mieux l’Être auquel je l’ai donné ; il se dérobe également à mes sens & à mon entendement ; plus j’y pense, plus je me confonds ; je sais très-certainement qu’il existe, & qu’il existe par lui-même : je sais que mon existence est subordonnée à la sienne, & que toutes les choses qui me sont connues sont absolument dans le même cas. J’apperçois Dieu par-tout dans ses œuvres, je le sens en moi, je le vois tout autour de moi ; mais sitôt que je veux le contempler en lui-même, sitôt que je veux chercher où il est, ce qu’il est, quelle est sa substance, il m’échappe & mon esprit troublé n’apperçoit plus rien.
Pénétré de mon insuffisance, je ne raisonnerai jamais sur la nature de Dieu, que je n’y sois forcé par le sentiment de ses rapports avec moi. Ces raisonnemens sont toujours téméraires ; un homme sage ne doit s’y livrer qu’en tremblant, & sûr qu’il n’est pas fait pour les approfondir : car ce qu’il y a de plus injurieux à la Divinité n’est pas de n’y point penser, mais d’en mal penser.
Après avoir découvert ceux de ses attributs par lesquels je conçois son existence, je reviens à moi, & je cherche quel rang j’occupe dans l’ordre des choses qu’elle gouverne, & que je puis examiner. Je me trouve incontestablement au premier par mon espece ; car par ma volonté & par les instrumens qui sont en mon pouvoir pour l’exécuter, j’ai plus de force pour agir sur tous les corps qui m’environnent, ou pour me prêter ou me dérober comme il me plait à leur action, qu’aucun d’eux n’en a pour agir