Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/439

Cette page n’a pas encore été corrigée

c’est-à-dire Emile à Sophie. Il lui rapporte, avec un cœur non moins tendre qu’avant son départ, un esprit plus éclairé, & il rapporte dans son pays l’avantage d’avoir connu les gouvernements par tous leurs vices, & les peuples par toutes leurs vertus. J’ai même pris soin qu’il se liât dans chaque nation avec quelque homme de mérite par un traité d’hospitalité à la manière des anciens, & je ne serai pas fâché qu’il cultive ces connaissances par un commerce de lettres. Outre qu’il peut être utile et qu’il est toujours agréable d’avoir des correspondances dans les pays éloignés, c’est une excellente précaution contre l’empire des préjugés nationaux, qui, nous attaquant toute la vie, ont tôt ou tard quelque prise sur nous. Rien n’est plus propre à leur ôter cette prise que le commerce désintéressé de gens sensés qu’on estime, lesquels, n’ayant point ces préjugés & les combattant par les leurs, nous donnent les moyens d’opposer sans cesse les uns aux autres, & de nous garantir ainsi de tous. Ce n’est point la même chose de commercer avec les étrangers chez nous ou chez eux. Dans le premier cas, ils ont toujours pour le pays où ils vivent un ménagement qui leur fait déguiser ce qu’ils en pensent, ou qui leur en fait penser favorablement tandis qu’ils y sont ; de retour chez eux, ils en rabattent, et ne sont que justes. Je serois bien aise que l’étranger que je consulte eût vu mon pays, mais je ne lui en demanderai son avis que dans le sien.