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J’ai dit ce qui rend les voyages infructueux à tout le monde. Ce qui les rend encore plus infructueux à la jeunesse, c’est la manière dont on les lui fait faire. Les gouverneurs, plus curieux de leur amusement que de son instruction, la mènent de ville en ville, de palais en palais, de cercle en cercle ; ou, s’ils sont savants & gens de lettres, ils lui font passer son temps à courir des bibliothèques, à visiter des antiquaires, à fouiller de vieux monuments, à transcrire de vieilles inscriptions. Dans chaque pays, ils s’occupent d’un autre siècle ; c’est comme s’ils s’occupoient d’un autre pays ; en sorte qu’après avoir à grands frais parcouru l’Europe, livrés aux frivolités ou à l’ennui, ils reviennent sans avoir rien vu de ce qui peut les intéresser, ni rien appris de ce qui peut leur être utile.

Toutes les capitales se ressemblent, tous les peuples s’y mêlent, toutes les mœurs s’y confondent ; ce n’est pas là qu’il faut aller étudier les nations. Paris & Londres ne sont à mes yeux que la même ville. Leurs habitants ont quelques préjugés différents, mais ils n’en ont pas moins les uns que les autres, & toutes leurs maximes pratiques sont les mêmes. On sait quelles espèces d’hommes doivent se rassembler dans les cours. On sait quelles mœurs l’entassement du peuple et l’inégalité des fortunes doit partout produire. Sitôt qu’on me parle d’une ville composée de deux cent mille âmes, je sais d’avance comment on y vit. Ce que je saurois de plus sur les lieux ne vaut pas la peine d’aller l’apprendre.

C’est dans les provinces reculées, où il y a moins de mouvement, de commerce, où les étrangers voyagent moins,