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des pieds sans têtes, des mains sang bras, des organes imparfaits de toute espèce qui sont péris faute de pouvoir se conserver, pourquoi nul de ces informes essais ne frappe-t-il plus nos regards ? Pourquoi la nature s’est-elle enfin prescrit des lois auxquelles elle n’étoit pas d’abord assujettie ? Je ne dois point être surpris qu’une chose arrive lorsqu’elle est possible, & que la difficulté de l’événement est compensée par la quantité des jets ; j’en conviens. Cependant, si l’on venoit me dire que des caractères d’imprimerie projetés au hasard ont donné l’Enéide tout arrangée, je ne daignerois pas faire un pas pour aller vérifier je mensonge. Vous oubliez, me dira-t-on, la quantité des jets. Mais de ces jets-là combien faut-il que j’en suppose pour rendre la combinaison vraisemblable ? Pour moi, qui n’en vois qu’un seul, j’ai l’infini à parier contre un que son produit n’est point effet du hasard. Ajoutez que des combinaisons & des chances ne donneront jamais que des produits de même nature que les éléments combinés, que l’organisation & la vie ne résulteront point d’un jet d’atomes, & qu’un chimiste combinant des mixtes ne les fera point sentir et penser dans son creuset [1].

J’ai lu Nieuwentit avec surprise, & presque avec scandale. Comment cet homme a-t-il pu vouloir faire un livre des merveilles de la nature, qui montrent la sagesse de son

  1. Croiroit-on, si l’on n’en avoit la preuve, que l’extravagance humaine put être portée à ce point ? Amatus Lusitanus assurait avoir vu un petit homme long d’un pouce enfermé dans un verre, que Julius Camillus, comme un autre Prométhée, avoit fait par la science alchimique. Paracelse, de Natura rerum, enseigne la façon de produire ces petits hommes, et soutient que les Pygmées, les Faunes,