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des pieds sans têtes, des mains sans bras, des organes imparfaits de toute espece qui sont péris faute de pouvoir se conserver, pourquoi nul de ces informes essais ne frappe-t-il plus nos regards ; pourquoi la Nature s’est-elle enfin prescrit des loix auxquelles elle n’étoit pas d’abord assujettie ? Je ne dois point être surpris qu’une chose arrive lorsqu’elle est possible, & que la difficulté de l’événement est compensée par la quantité des jets, j’en conviens. Cependant, si l’on me venoit dire que des caracteres d’imprimerie, projettés au hazard, ont donné l’Énéide toute arrangée, je ne daignerois pas faire un pas pour aller vérifier le mensonge. Vous oubliez, me dira-t-on, la quantité des jets ; mais de ces jets là combien faut-il que j’en suppose pour rendre la combinaison vraisemblable ? Pour moi, qui n’en vois qu’un seul, j’ai l’infini à parier contre un que son produit n’est point l’effet du hazard. Ajoutez que des combinaisons & des chances ne donneront jamais que des produits de même nature que les élémens combinés, que l’organisation & la vie ne résulteront point d’un jet d’atomes, & qu’un Chymiste combinant des mixtes, ne les fera point sentir & penser dans son creuset [1].

J’ai lu Nieuventit avec surprise, & presque avec scandale. Comment cet homme a-t-il pu vouloir faire un livre des merveilles de la Nature, qui montrent la sagesse de son Au-

  1. (28) Croiroit-on, si l’on n’en avoit la preuve, que l’extravagance humaine pût être portée à ce point ? Amatus Lusitanus assuroit avoir vu un petit homme long d’un pouce enfermé dans un verre, que Julius Camillus, comme un autre Prométhée, avoit fait par la science Alchimique. Paracelse, de natura rerum, enseigne la façon de produire ces petits hommes, & soutient que les Pygmées, les Faunes,