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maîtresse ; mais un mari ne doit jamais quitter sa femme sans nécessité. Pour guérir vos scrupules, je vois que vos délais doivent être involontaires : il faut que vous puissiez dire à Sophie que vous la quittez malgré vous. Eh bien ! soyez content, &, puisque vous n’obéissez pas à la raison, reconnaissez un autre maître. Vous n’avez pas oublié l’engagement que vous avez pris avec moi. Emile, il faut quitter Sophie ; je le veux.

À ce mot il baisse la tête, se tait, rêve un moment, & puis, me regardant avec assurance, il me dit : Quand partons-nous ? Dans huit jours, lui dis-je ; il faut préparer Sophie à ce départ. Les femmes sont plus faibles, on leur doit des ménagements ; & cette absence n’étant pas un devoir pour elle comme pour vous, il lui est permis de la supporter avec moins de courage.

Je ne suis que trop tenté de prolonger jusqu’à la séparation de mes jeunes gens le journal de leurs amours ; mais j’abuse depuis longtemps de l’indulgence des lecteurs ; abrégeons pour finir une fois. Emile osera-t-il porter aux pieds de sa maîtresse la même assurance qu’il vient de montrer à son ami ? Pour moi, je le crois ; c’est de la vérité même de son amour qu’il doit tirer cette assurance. Il seroit plus confus devant elle s’il lui en coûtoit moins de la quitter ; il la quitterait en coupable, & ce rôle est toujours embarrassant pour un cœur honnête : mais plus le sacrifice lui coûte, plus il s’en honore aux yeux de celle qui le lui rend pénible. Il n’a pas peur qu’elle prenne le change sur le motif qui le détermine. Il semble lui dire à chaque regard : Ô Sophie ! lis dans mon