Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/389

Cette page n’a pas encore été corrigée

"Les illusions de l’orgueil sont la source de nos plus grands maux ; mais la contemplation de la misère humaine rend les âge toujours modéré. Il se tient à sa place, il ne s’agite point pour en sortir ; il n’use point inutilement ses forces pour jouir de ce qu’il ne peut conserver ; &, les employant toutes à bien posséder ce qu’il a, il est en effet plus puissant & plus riche de tout ce qu’il désire de moins que nous. Etre mortel & périssable, irai-je me former des nœuds éternels sur cette terre, où tout change, où tout passe, & dont je disparaîtrai demain ? Ô Emile, ô mon fils ! en te perdant, que me resteroit de moi ? & pourtant il faut que j’apprenne à te perdre : car qui sait quand tu me seras ôté ?"

"Veux-tu donc vivre heureux & sage, n’attache ton cœur qu’à la beauté qui ne périt point : que ta condition borne tes désirs, que tes devoirs aillent avant tes penchants : étends la loi de la nécessité aux choses morales ; apprends à perdre ce qui peut t’être enlevé ; apprends à tout quitter quand la vertu l’ordonne, à te mettre au-dessus des événements, à détacher ton cœur sans qu’ils le déchirent, à être courageux dans l’adversité, afin de n’être jamais misérable, à être ferme dans ton devoir, afin de n’être jamais criminel. Alors tu seras heureux malgré la fortune, & sage malgré les passions. Alors tu trouveras dans la possession même des biens fragiles une volupté que rien ne pourra troubler ; tu les posséderas sans qu’ils te possèdent, & tu sentiras que l’homme, à qui tout échappe, ne jouit que de ce qu’il sait perdre. Tu n’auras point, il est vrai, l’illusion des plaisirs imaginaires ; tu