Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/371

Cette page n’a pas encore été corrigée

passe doucement son bras gauche autour d’elle, l’enlève comme une plume, &, pressant sur son cœur cette douce charge, il achève ainsi la course, lui fait toucher le but la première, puis, criant Victoire à Sophie ! met devant elle un genou en terre, & se reconnaît le vaincu.

À ses occupations diverses se joint celle du métier que nous avons appris. Au moins un jour par semaine, & tous ceux où le mauvais temps ne nous permet pas de tenir la campagne, nous allons, Emile & moi, travailler chez un maître. Nous n’y travaillons pas pour la forme, en gens au-dessus de cet état, mais tout de bon et en vrais ouvriers. Le père de Sophie nous venant voir nous trouve tout de bon à l’ouvrage, & ne manque pas de rapporter avec admiration à sa femme & à sa fille ce qu’il a vu. Allez voir, dit-il, ce jeune homme à l’atelier, & vous verrez s’il méprise la condition du pauvre ! On peut imaginer si Sophie entend ce discours avec plaisir ! On en reparle, on voudroit le surprendre à l’ouvrage. On me questionne sans faire semblant de rien ; &, après s’être assurées d’un de nos jours, la mère & la fille prennent une calèche, & viennent à la ville le même jour.

En entrant dans l’atelier, Sophie aperçoit à l’autre bout un jeune homme en veste, les cheveux négligemment rattachés, & si occupé de ce qu’il fait qu’il ne la voit point : elle s’arrête & fait signe à sa mère. Emile, un ciseau d’une main & le maillet de l’autre, achève une mortaise ; puis il scie une planche & en met une pièce sous le valet pour la polir. Ce spectacle ne fait point rire Sophie ; il la touche, il est respectable. Femme, honore ton chef ; c’est lui qui travaille pour