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situation, plus gênante pour l’écolière que pour le maître, n’est pas la plus favorable à l’instruction. L’on ne sait pas trop alors que faire de ses yeux pour éviter ceux qui les poursuivent, & quand ils se rencontrent la leçon n’en va pas mieux.

L’art de penser n’est pas étranger aux femmes, mais elles ne doivent faire qu’effleurer les sciences de raisonnement. Sophie conçoit tout & ne retient pas grand chose. Ses plus grands progrès sont dans la morale & les choses du goût ; pour la physique, elle n’en retient que quelque idée des lois générales & du système du monde. Quelquefois, dans leurs promenades, en contemplant les merveilles de la nature, leurs cœurs innocents & purs osent s’élever jusqu’à son auteur : ils ne craignent pas sa présence, ils s’épanchent conjointement devant lui.

Quoi ! deux amants dans la fleur de l’âge emploient leur tête-à-tête à parler de religion ! Ils passent leur temps à dire leur catéchisme ! Que sert d’avilir ce qui est sublime ? Oui, sans doute, ils le disent dans l’illusion qui les charme : ils se voient parfaits, ils s’aiment, ils s’entretiennent avec enthousiasme de ce qui donne un prix à la vertu. Les sacrifices qu’ils lui font la leur rendent chère. Dans des transports qu’il faut vaincre, ils versent quelquefois ensemble des larmes plus pures que la rosée du ciel, & ces douces larmes font l’enchantement de leur vie : ils sont dans le plus charmant délire qu’aient jamais éprouvé des âmes humaines. Les privations mêmes ajoutent à leur bonheur & les honorent à leurs propres yeux de leurs sacrifices. Hommes sensuels, corps sans âme, ils connaîtront un jour vos plaisirs, &