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charmantes m’enivrent moi-même ; je les rassemble sans ordre & sans suite ; le délire qu’elles me causent m’empêche de les lier. Oh ! qui est-ce qui a un cœur, & qui ne saura pas faire en lui-même le tableau délicieux des situations diverses du père, de la mère, de la fille, du gouverneur, de l’élève, & du concours des uns & des autres à l’union du plus charmant couple dont l’amour & la vertu puissent faire le bonheur ?

C’est à présent que, devenu véritablement empressé de plaire, Emile commence à sentir le prix des talents agréables qu’il s’est donnés. Sophie aime à chanter, il chante avec elle ; il fait plus, il lui apprend la musique. Elle est vive & légère, elle aime à sauter, il danse avec elle ; il change ses sauts en pas, il la perfectionne. Ces leçons sont charmantes, la gaieté folâtre les anime, elle adoucit le timide respect de l’amour : il est permis à un amant de donner ces leçons avec volupté ; il est permis d’être le maître de sa maîtresse.

On a un vieux clavecin tout dérangé ; Emile l’accommode & l’accorde ; il est facteur, il est luthier aussi bien que menuisier ; il eut toujours pour maxime d’apprendre à se passer du secours d’autrui dans tout ce qu’il pouvait faire lui-même. La maison est dans une situation pittoresque, il en tire différentes vues auxquelles Sophie a quelquefois mis la main, & dont elle orne le cabinet de son père. Les cadres n’en sont point dorés & n’ont pas besoin de l’être. En voyant dessiner Emile, en l’imitant, elle se perfectionne à son exemple ; elle cultive tous les talents, & son charme les